"On enterre une femme à deux heures..." C'est par ces mots que comme L'Enfant brûlé, le chef-d'œuvre de Stig Dagerman, qui date de 1948. En effet, la mère est morte, laissant un mari et un fils de vingt ans. Qui était-elle en dehors de cette rumeur quotidienne dont elle remplissait la maison ? Trop tard pour le savoir. Désormais, son absence va prendre un poids que n'avait pas sa présence, suscitant entre père et fils d'étranges rapports faits de questions tacites, de suspicion mutuelle, de jalousie et de haine, mais aussi d'amour.
Lire Dagerman -ce Rimbaud du Nord- qui mit fin à ses jours en 1954, alors qu'il n'avait que trente et un an et que, depuis longtemps, il se taisait, c'est lire un écrivain majeur, l'un de ces auteurs dont la voix a la vertu de raccourcir à la seconde des distances entre lecteur et auteur, instaurant entre eux les liens de complicité les plus étroits, commandant un irrésistible mouvement de sympathie. Ardent et précis à la fois, l'écrivain jette ses filets au plus profond de nous-mêmes, ramenant à la surface nos secrets les plus troubles et les moins avouables. Tandis que, sur fond de rues enneigées, d'archipels lisses et de soleils froids, des personnages ravagés de passion se dressent, à jamais inoubliables, comme dans un film qui serait le plus beau film d'Ingmar Bergman, ce compatriote de Dagerman.