Ce premier roman de Sofi Oksanen ne peut se lire qu'à la lueur de Purge (prix Femina 2010), dans lequel la romancière incisait le temps, avançait et reculait à coups de canif dans l'histoire de l'Estonie, ancienne république d'URSS, terre natale de sa mère. Entre ce récent succès littéraire et le livre de ses débuts, paru en 2003, les passerelles sont nombreuses et passionnantes. Outre la chape de plomb de l'époque soviétique, qu'elle donne à soupeser dans toutes ses répercussions intérieures (ici, une femme traumatisée par le totalitarisme ne parvient pas à vivre de passion amoureuse, dans les années 1970), Sofi Oksanen montre qu'elle maîtrisait l'art du montage dès son premier ouvrage. Comme dans Purge, elle voyage entre les époques et les ruminations intimes avec une écriture heurtée, fleurie, violente, physique. Son héroïne est anorexique, et le vide qu'elle cherche à faire à l'intérieur de son corps s'infiltre dans tout le roman. Il y a une grande nécessité d'éliminer, de décaper, chez Sofi Oksanen, écrivain de la réparation qui sait panser les plaies avec douceur.