Ce n'était plus la guerre fantomatique à quoi, depuis mon arrivée à Beyrouth, je m'étais habitué et qui ne venait pas: ce n'était plus du roman devenu vague rêverie au fond de l'ennui; c'était l'essence même de toute littérature : la guerre, violente. exigeante. dangereuse. enivrante, aussi. car j'y ai retrouvé les gestes qui étaient les miens, enfant, dans les bois de Siom, quand je jouais à la guerre et que je mourais ou tuais avec une ivresse qui me laissait croire que j'étais la proie d'autre chose que de la lièvre du jeu. Mais à Beyrouth, cette nuit-là, au premier étage du magasin que nous devions tenir, dans le bruit des armes, les éclats, l'odeur de poudre, d'huile et de métal chaud, je sentais les autres miliciens bien plus proches de moi que mes anciens compagnons de jeu. Tout ça me plaisait dans une dimension inquiétante, voire terrifiante du plaisir : celle qu'on connaît dans les très grandes amours.