Il n'est nul moyen de concilier l'idée d'un dieu honorable avec l'évidente omniprésence du mal. Dans les commencements, quelque chose d'innommable a dû se passer, qui a vicié l'existence pour toujours. Nous ne pouvons admettre que le dieu bon, le "Père", ait trempé dans le scandale de la création. La bonté ne crée pas, elle manque d'imagination ; or il en faut pour fabriquer un monde, si bâclé soit-il. La vérité est que nous sommes sortis des mains d'un dieu maudit, auquel nous nous agrippons avec nos misères et nos tares : rien ne nous flatte tant que de pouvoir placer la source de notre indignité dans les agissements d'un créateur pervers. Nous singeons sa déplorable inaptitude à demeurer en soi-même, nous perpétuons son œuvre, car procréer, c'est se rendre complice d'un forfait originel. Tout engendrement est suspect ; les anges par bonheur y sont impropres, la propagation de la vie étant réservée aux déchus. Le Mauvais démiurge n'est cependant pas un livre essentiellement sombre. Il finit en tout cas sur une note sereine : « Nous sommes au fond d'un enfer dont chaque instant est un miracle ».