Entre le règne glorieux et quasi mythique d'Élisabeth et celui, tragique entre tous, du malheureux Charles Ier, les années du roi Jacques apparaissent un peu, vu de France, comme une transition sans éclat : ce n'est plus la grande époque de l'Armada et des corsaires d'Amérique ; ce n'est pas encore celle de Cromwell et des Têtes rondes. Et pourtant, que d'événements durant les vingt-deux ans qui séparent la mort d'Élisabeth du couronnement de Charles ! La conspiration des Poudres, l'exécution de Walter Raleigh, la fondation des premières colonies outre-Atlantique, l'expansion du commerce anglais aux extrémités de l'Asie, le drame de Prague et les débuts de la guerre de Trente Ans, tout cela appartient à ce règne injustement négligé par les historiens français. Ajoutons qu'avant de succéder à Elisabeth Jacques avait régné trente-six ans sur l'Ecosse, comme fils et héritier de Marie Stuart, dans une atmosphère de guerre civile et religieuse digne des meilleurs romans d'aventures. Ce sont donc cinquante-huit ans de l'histoire britannique et européenne, à la charnière du Moyen Age et des Temps modernes, que recouvre la carrière d'un homme que ses contemporains ont surnommé " le roi de la paix " et " le nouveau Salomon ", et qu'Henri IV, son " compère ", a considéré comme " le fol le plus sage de la chrétienté ". " Plût à Dieu que l'Angleterre n'eût jamais eu un meilleur roi, ni un pire ", écrivait, quelques années après sa mort, un homme qui n'avait pas été tendre pour lui. Tout compte fait, on peut difficilement imaginer, pour un souverain et pour un homme, plus bel éloge, et plus mélancolique.