C'est une belle et érudite traversée de la capitale que nous offre le Parisien Eric Hazan, déjà auteur de plusieurs ouvrages - parmi lesquels L'Invention de Paris (éd. du Seuil, 2002) - sur cette ville qu'il arpente toujours avec plaisir et gourmandise. Une traversée qu'il effectue ici d'Ivry à Saint-Denis, suivant une ligne médiane qui en vaut une autre et qui sillonne plusieurs quartiers aux histoires différentes.
Librairies, anciens ateliers, petites usines, jonctions ou sutures inattendues entre quartiers, jardins cossus ou insolites sont les balises de l'auteur, qui marche le nez en l'air, traçant son chemin entre les marronniers du boulevard Arago, observant les pilastres, façades, tourelles suspendues et échauguettes, et se souvenant des petits cafés où résonnaient des paroles oubliées. L'ancien chirurgien qu'est Eric Hazan demeure aussi attentif aux hôpitaux dans lesquels il a exercé avant de se consacrer à l'édition et à l'écriture. Le responsable de ce tournant professionnel n'est pas n'importe qui. C'est en regardant le Lion de Belfort, qui trône sur la place Denfert-Rochereau, que la décision fut prise, et sans regret.
Ce Paris ancien qu'il connaît depuis son enfance, qui a laissé ses traces ou dont les transformations ont effacé l'Histoire, conduit parfois l'auteur à éprouver des bouffées de nostalgie : l'ancienne typographie des plaques émaillées des rues dont le caractère Bodoni a été remplacé par une autre en « minables caractères bâton » ou les salles de cinéma d'art et essai désormais disparues. Beaucoup d'auteurs accompagnent Eric Hazan : Louis-Sébastien Mercier, Emile Zola, André Breton, François Maspero, George Sand, Victor Hugo, Saint-Simon ou Georges Perec. Avec eux, André Breton, Walter Benjamin, Baudelaire, Nerval, Balzac, Chateaubriand, composant, tous ensemble, sa « famille de papier ». Son autre famille est politique, de couleur rouge. Hazan est du côté insurrectionnel de la barricade du cloître Saint-Merry (1832) ou de celles des journées de 1848, plutôt que pèlerin du Sacré-Coeur, cette grande église construite après le massacre des Communards. A chacun son Paris. Eric Hazan a toujours choisi le sien. - Gilles Heuré