Celui qui ne verrait dans Le théâtre et son double qu'un traité inspiré montrant comment rénover le théâtre - bien qu'il y ait sans nul doute contribué -, celui-là se méprendrait étrangement. C'est qu'Antonin Artaud, quand il nous parle du théâtre, nous parle surtout de la vie, nous amène à réviser nos conceptions figées de l'existence, à retrouver une culture sans limitation. Le théâtre et son double est une œuvre magique comme le théâtre dont elle rêve, vibrante comme le corps du véritable acteur, haletante comme la vie même dans un jaillissement toujours recommencé de poésie.
L'histoire des Cenci - viol, inceste et mort - avait tout pour satisfaire le goût des romantiques, de Shelley à Stendhal, pour l'horrible et le monstrueux. Quand Artaud s'en empara à son tour pour enrichir ce qui aurait pu n'être qu'un atroce fait divers d'intentions philosophiques, elle lui permit de développer des thèmes chers : la révolte, le déchaînement des pulsions, l'abjection des puissants, la quête de l'absolu. Il en fit, en 1935, un spectacle ambitieux pour lequel il sut s'entourer d'artistes promis au plus bel avenir : Balthus, Blin, Barrault. Malgré le peu de moyens, il réussit à innover dans des domaines essentiels de la mise en scène et ouvrit la scène à un imaginaire libéré de toute sujétion au réel.