Comment imaginer qu'on puisse marcher gaillardement vers la mort, "cet inévitable pays où l'on finit tous par aller se faire foutre", pour reprendre les mots de Régis Jauffret ? Ce roman mosaïque est constitué de seize fictions. La vieillesse est le véritable héros du livre qu'incarnent des fous, des sages, des braves gens et des infâmes. Ces naufragés du grand âge, hantés par leur fin prochaine, s'avancent comme autant de doubles de nous-mêmes. Une prose rigoureuse, drôle, impitoyable, d'une gaieté macabre, aux phrases affûtées comme le fil d'un rasoir.
Prologue :
"Bravo. Qu'on applaudisse et crie bravo. C'est une performance d'avoir si longtemps vécu. Qu'il soit acclamé le convoi des vieillards. Ils ont été vaincus, mais ils ont résisté, souffert, lutté pour ne pas succomber à la tentation de déposer les armes, de se faire hara-kiri comme un lâche samouraï qui refusant d'endurer plus longtemps le quotidien, un jour s'éventre. Hommage aux êtres qui ont dépassé le cap de la soixantaine et habitent désormais ce continent gris peuplé d'humains d'hier que dans ma jeunesse on appelait les petits vieux. Je rejoindrai au printemps leurs terres crépusculaires. Avec l'enthousiasme des désespérés, je continuerai à écrire tant qu'il me restera des mots. J'en ai des silos remplis jusqu'à la gueule et je ne me rendrai pas avant de les avoir dégoupillés jusqu'au dernier. Quand ce siècle sera devenu sexagénaire à son tour, plus âgé que lui de quelques décennies, ayant largement payé mon tribut à l'existence, je me tuerai."