Nous n'avons pas vingt ans, nous n'avons pas trente ans, mais déjà dans la bouche un goût de terre brûlée. Car c'est en vain que nous sommes partis en quête de nos aînés. Nous avions rêvé d'un dialogue, et qu'ils nous communiquent le feu qui embrasa leur jeunesse. Au lieu de quoi, ils nous tournèrent le dos, préférant se claquemurer dans une nostalgie stérile : après eux, le désert... Nous voici livrés à nous-mêmes. A l'origine de cet essai, donc, il y a la volonté de se réapproprier un passé, pour en tirer leçons, en notre nom. Sur les espérances révolutionnaires, exercer un droit d'inventaire. Récupérer, avec la génération 68 ou plutôt malgré elle, quelque chose comme un passage du témoin. Cette enquête en filiation, j'ai voulu la mener au miroir d'une tradition singulière (le trotskisme), et donner la parole à des militantes, des militants, célèbres ou anonymes, passés ou présents. Ceux-là n'ont pas toujours évité les tentations autoritaires, mais depuis le combat " antistalinien " jusqu'aux luttes altermondialistes en passant par la solidarité avec les peuples colonisés, ils n'en ont pas moins ancré leur révolte dans un souci vital de transmission. Au creux de leur discours, il s'agit de restituer ce qu'on pourrait nommer une pédagogie de l'émancipation : l'écoute des aînés, le goût pour la chose imprimée, la passion des idées... D'explorer l'élan et l'enthousiasme, d'abord, mais aussi les déchirures intimes : sur les dérives sectaires, par exemple, ou encore sur la question juive. Avec, à l'horizon, cette surprise tout au long du XXe siècle, il s'est trouvé des gavroches de quatorze ans pour se fâcher contre l'injustice du temps présent. Alors, monter à l'assaut du ciel, changer le monde, à quatorze ans ? Jadis et naguère, oui, à coup sûr. Hier encore, sans doute. Et maintenant ?