Lorsque la table du déjeuner familial est desservie et que s'annonce un après-midi sans surprise et sans sorties, que faire? En Amérique latine, des millions d'hommes - et surtout de femmes - attendent alors le moment de tourner le bouton de la radio pour absorber leur dose quotidienne de rire, de larmes et de rêve.
C'est derrière les feux de cette rampe-là, faussement clinquante, que le grand romancier péruvien nous mène : acteurs vieillis dont seule la voix séduit encore, tâcherons de l'écriture dévorés par le halo d'une gloire illusoire, requins de l'audio-visuel artisans de la misère de leurs «créateurs». Pedro Camacho, un as du feuilleton radio, arrive alors à Lima. Il n'a d'autre vie que celle de ses personnages et de leurs intrigues. Enfermé jour et nuit dans la loge de l'immeuble de la radio, il manipule les destinées de ces êtres imaginaires qui font battre le cœur des auditeurs. Mais voilà que, au comble de la gloire, son esprit s'embrume : comme des chevaux fous, ses héros franchissent les barrières, font irruption dans des histoires qui ne sont pas les leurs et engendrent une avalanche de catastrophes : les auditeurs affolés portent plainte...
En contrepoint, nous est contée l'histoire de «Varguitas» : à dix-huit ans, il poursuit, mollement, des études de droit, comme l'exige son père. Installé dans un cagibi, il gagne quelques sous en rédigeant les bulletins de nouvelles pour la radio de Lima et rêve de faire publier les nouvelles qu'il écrit à ses (nombreux) moments perdus.
Pour la première fois, Mario Vargas Llosa parle ici à la première personne et raconte son histoire : «Varguitas» n'est autre que lui et la tante Julia, fraîchement divorcée, de quinze ans son aînée, a bien existé. Malgré l'opprobre familial et le rocambolesque bureaucratique, il finira par l'épouser.
Il est difficile de mieux conjuguer le rétro, le kitsch et le mélo que Mario Vargas Llosa le fait dans ce livre, l'un des plus éblouissants témoignages sur ce qu'est aujourd'hui le vécu, le ressenti, le rêvé de l'homme moyen en Amérique latine.