Le corps, ça pouvait aller. C'est le contexte qui m'a secouée.
Nous qui tirons subsistance des fragilités du corps humain acceptons, comme une condition quasi inhérente à l'exercice de
notre métier, la proximité toujours plus grande de la mort. Pour la plupart des gens, une part de mystère entoure
l'instant où l'âme se sépare de son enveloppe terrestre d'os, de muscles, de graisse et de nerfs. Pour nous, les
mécanismes de la mort et la décomposition se dévoilent peu à peu et inexorablement dès la première leçon d'anatomie, le
premier aperçu de formes humaines drapées de blanc dans une salle étincelante d'acier.
Au fil des ans, j'avais vu la mort, disséqué la mort, senti la mort, tâté, soupesé et sondé la mort, parfois même entendu
la mort (les doux gargouillis qu'émet un corps lorsque les sécrétions se stabilisent) plus de fois que je ne pourrais les
compter. La mort m'était devenue familière : mais je ne m'étais jamais attendue à ce qu'elle me saute à la figure en
criant : «Bouh !»
Un jour, au pub, tandis que nous débattions à table des mérites de diverses séries policières, quelqu'un m'a demandé
quelle serait ma réaction si je tombais sur un vrai cadavre en chair et en os. J'avais parfaitement compris ce qu'il
voulait dire et il souriait alors même que ces débilités lui sortaient de la bouche. Je lui avais répondu que je n'en
savais rien.