Où sont donc nés les contes, et pourquoi, et comment ? Une femme l'a su, aux premiers temps du monde. Cette femme, en vérité, était l'épouse d'une brute. Son mari la battait. Elle était résignée, sans espoir, sans révolte. Un jour, elle fut enceinte. Elle se dit alors qu'elle ne pouvait se permettre d'être ainsi rossée, sous peine de perdre l'enfant qu'elle portait dans le ventre. Elle réfléchit donc au moyen d'amadouer son homme. Elle se creusa la tête. Rien ne vint. Elle se creusa le cœur. Alors une réponse germa au plus secret de son être. Et quand au soir son mari, comme à son habitude, leva sur elle son bâton, elle se mit soudain à raconter une histoire qu'elle ignorait connaître. Et cette histoire était si belle, si émouvante, si prodigieuse que la brute l'écouta, et que le bâton oublia de s'abattre sur son dos.
Ainsi neuf mois durant, toutes les nuits, cette femme inventa des histoires pour préserver la vie qu'elle portait dans le ventre. C'est ainsi que sont nés tous les contes de la Terre. Non point changer la vie mais l'aider à éclore.
Voilà pourquoi sont au monde ces récits parfois millénaires qui ont atteint à la gloire insurpassable des œuvres :l'anonymat. Car je ne suis pas l'auteur de ceux qui sont dans ce livre. Je n'ai fait que les raviver, les ranimer, les restaurer, comme d'autres restaurent de vieux châteaux. J'ignore qui en sont les premiers auteurs. D'ailleurs, qu'importe ? Ils sont au monde parce qu'ils sont nécessaires, comme l'air, comme la lumière du jour, comme les arbres.
Par l'auteur de l'Inquisiteur, l'Arbre à soleils et l'Arbre aux trésors.