Avec le temps, j'ai pu constater à quel point les rencontres déterminantes ont souvent l'art de ne pas s'annoncer. Comme si elles attendaient que nous leur donnions toute notre attention pour se révéler, délaissant ceux qui ne sont pas suffisamment à l'écoute.
J'ai rencontré le docteur Magali Bodon-Bruzel dans une cour d'école grâce à nos fils respectifs qui à sept ou huit ans se sont liés d'amitié. Après avoir découvert son activité professionnelle extraordinaire puis sympathisé avec elle, je lui demandai un jour de me montrer l'unité pour malades difficiles où elle officiait. J'avais déjà publié un premier roman et elle a dû être sensible à cette curiosité dont se nourrirait peut-être mon imaginaire. Passionnée par son travail, il lui semblait intéressant de faire partager son quotidien à quelqu'un qui, d'une certaine manière, pourrait un jour en rendre compte.
C'est le 3 avril 2003 que je traversai pour la première fois le grand ensemble hospitalier Paul-Guiraud jusqu'au mur d'enceinte en pierre de meule de l'UMD Henri-Colin, dans l'ancien quartier de sûreté de Villejuif bâti pour accueillir les aliénés dangereux. Magali avait évoqué certains cas et je savais que des auteurs de crimes particulièrement spectaculaires y étaient encore hospitalisés. Je me rappelle avoir ressenti cette légère excitation que l'on peut connaître avant de franchir la porte d'un monde fermé et réputé difficile. J'ignorais encore à ce moment précis l'influence que cette rencontre allait avoir sur mon travail et sur ma vie.
Magali exerçait à l'époque au pavillon 38, celui des arrivants, pour l'essentiel en phase de crise, imprévisibles, délicats à appréhender. D'emblée, elle me montra les différents pavillons, les cellules, le réfectoire, les ateliers d'ergothérapie, les cours délimitées par des sauts-de-loup, m'expliqua dans les grandes lignes le parcours des patients au sein de l'institution, leur prise en charge, les traitements, les mesures de sécurité... Elle me présenta aux membres de l'équipe soignante, et je fus immédiatement impressionné par le professionnalisme et l'évidente humanité de ces hommes et de ces femmes. Représentant le dernier recours pour les patients auxquels ils étaient confrontés, ils se devaient de réussir, ils n'avaient pas droit à l'échec. C'est toujours le cas aujourd'hui.
Un souvenir restera longtemps gravé dans ma mémoire : tandis que, accompagnés par un infirmier, nous traversions la salle commune où les patients passaient l'essentiel de leurs journées, ces derniers, apercevant leur médecin, s'agglutinèrent autour d'elle pour la presser de questions, et je la revois, solaire dans sa blouse blanche, largement dominée de la taille par cette horde de déshérités au passé chargé, tous capables du pire, venant chercher auprès d'elle des réponses à leurs inquiétudes.