Cette enquête sur l immense demande de quantification dans le monde moderne examine le développement des significations culturelles de l objectivité depuis plus de deux siècles. Comment devons-nous tenir compte du prestige actuel des méthodes quantitatives et de leur puissance ?
La réponse habituelle est que la quantification est considérée comme souhaitable dans l enquête sociale et économique depuis ses succès dans l étude de la nature. Cette justification ne satisfait pas Theodore Porter.
Pourquoi, demande-t-il, le genre de succès obtenus dans l étude des étoiles, des molécules ou des cellules devrait-il être un modèle attrayant pour la recherche sur les sociétés humaines ? Et d ailleurs comment faut-il comprendre l omniprésence de la quantification dans les sciences de la nature ? À son avis, nous devrions diriger notre regard dans la direction opposée : en comprenant l intérêt pour la quantification dans les affaires, le gouvernement et la recherche sociale, nous apprendrons quelque chose de nouveau sur son rôle dans la psychologie, la physique et la médecine.
S appuyant sur un large éventail d exemples issus des laboratoires et du monde de la comptabilité, des assurances, de l analyse coûtsavantages et du génie civil, Porter montre qu il est « parfaitement faux » d interpréter la rigueur quantitative de la science comme une tendance en quelque sorte inhérente à l activité de cette dernière, sauf là où les pressions politiques et sociales imposent un compromis. En réalité, la quantification naît d une tentative pour élaborer une stratégie d impersonnalité permettant de résister aux pressions de l extérieur. C est dans un contexte culturel que l objectivité prend son essor, la quantification devenant plus importante lorsque les élites sont faibles et les négociations privées suspectes, et que la confiance fait défaut.