De cette expérience, elle tire un récit tout à la fois bouleversant et drolatique : l'histoire passionnante et mouvementée d'un double
apprentissage. Le sien puisqu'elle n'a jamais enseigné ni agit au quotidien auprès des migrants. Et celui de jeunes hommes, parfois illettrés, qui
au terme d'un très long et terrible voyage, se retrouvent devant un tableau, confrontés à l'un des langues les plus difficiles du monde, dont ils
n'ont jamais entendu un mot. Dans le huis clos de cette classe, ils disent à nouveau « je » et font entendre leur incroyable odyssée tandis que
leur « professeur » invente sa méthode en s'efforçant d'éviter les maladresses.
Quand pour la première fois, elle a franchi les portes du centre d'hébergement d'urgence du 19eme arrondissement, près de chez elle, Marie
France Etchegoin savait seulement qu'elle voulait « aider » pour ne pas avoir « à regretter de n'avoir rien fait ». Elle n'imaginait pas que
Sharokan, Ibrahim ou Salomon lui en apprendraient autant sur elle- même et qu'à travers eux, elle allait redécouvrir la complexité et la
richesse de la langue française et aussi ce qui, au fond, nous constitue et qui fait trait d'union au-delà des frontières : la force de la parole.