Elle s'appelle Dengé. En brassière léopard et baskets Hello Kitty, elle ramasse, pour trois fois rien, des tomates bourrées de pesticides dans les champs brûlants de Floride où elle va laisser sa vie. Il se nomme Tony Jay. Accusé à tort d'un double meurtre, il a passé trente ans derrière les barreaux avant d'être innocenté, et tente de renouer avec la liberté. Engeli, quant à lui, arpente sans fin les couloirs d'un hôpital psychiatrique, hanté par les bombes au phosphore déversées sur Falloujah, prisonnier à jamais de la guerre d'Irak.
Philippe Rahmy est mort en octobre 2017. En résidence d'écriture à la Fondation Jan Michalski, il travaillait sans relâche à son nouveau livre, Pardon pour l'Amérique. Fruit d'un voyage de plusieurs mois dans le sud des États-Unis, celui-ci s'ouvre sur l'élection de Donald Trump et se referme avec l'ouragan Irma. Prisonnier de la maladie qui l'avait condamné au fauteuil roulant, Philippe Rahmy a voulu s'y confronter à d'autres formes d'enfermement : le travail clandestin, l'incarcération, l'aliénation mentale.
Par la force du langage, ce langage qui lui tenait lieu de squelette, il rend aussi bien le tangible que l'impalpable : l'immensité des Everglades, un scarabée sur le bord d'une fenêtre. Son road trip fiévreux, violent et tendre abolit les frontières entre récit, roman, poésie et essai politique. Pardon pour l'Amérique déborde de son cadre, étoffé par les digressions, enrichi par l'imprévu. Les personnages, rencontrés ou imaginés, s'expriment à vif, dans un style percutant comme un corps-à-corps.