Le Coeur des ténèbres s'inspire d'un épisode de la vie de Conrad en 1890 dans l'État libre du Congo mis en coupe réglée au profit de Léopold II. De cette expérience amère, l'écrivain a tiré un récit enchâssé dont chaque élément, à la façon des poupées russes, dissimule une autre réalité : la Tamise annonce le Congo, le yawl de croisière la Nellie le vapeur cabossé de Marlow, truchement de Conrad. Ces changements d'identité sont favorisés par les éclairages instables au coucher du soleil ou par le brouillard qui modifie tous les repères et dont émerge Kurtz. Présenté par de nombreux personnages bien avant d'entrer en scène, celui-ci fait voler en éclats toutes les définitions et finit par incarner le coeur énigmatique des ténèbres : le lieu où se rencontrent l'abjection la plus absolue et l'idéalisme le plus haut.