"Un soir nous étions installés tous les trois, bien lestés d'alcool et de toxiques divers, devant l'entrée de l'habitat rupestre. Le gueux s'éloigna pour procéder à l'inspection de quelque chose qui clochait avec sa voiture. Sally me fit entrer dans la maison, m'y prodigua des marques d'affection, attira mon attention sur une carabine Winchester posée sur le manteau de la cheminée. Elle m'invita à vérifier qu'elle était en ordre de marche. Incapable, comme on l'a vu, de résister à ses injonctions, et conscient toutefois de ce qu'impliquait presque nécessairement cet enchaînement de gestes, j'actionnai la poignée qui caractérise ce type d'armes et fis monter une balle dans le canon. Jamais Sally ne m'avait couvé d'un regard aussi tendre. Pendant que je m'employais à ces préparatifs, le transistor qui grésillait dans un coin de la pièce annonça la chute de Saigon, et cela me fit autant d'effet que s'il s'était agi du résultat d'un match de football."
Prix Médicis 1996
Étudiant, Jean Rolin s'investit - tout comme son frère Olivier, de deux ans son aîné - dans la tendance maoïste de mai 68. Au début des années 1970, il intervient comme représentant de la Gauche prolétarienne à Saint-Nazaire.
Journaliste, il a surtout effectué des reportages, entre autres pour Libération, Le Figaro, L'Événement du Jeudi et Géo. Écrivain, il est l'auteur de récits de voyage, de chroniques, de souvenirs, de romans et de nouvelles.
Jean Rolin, écrivain voyageur, est un grand mélancolique, il décrit souvent des mondes, des sociétés et des solidarités qui disparaissent : Terminal Frigo en est sans doute l'exemple le plus beau et le plus flagrant.