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La gaieté Justine Lévy

 


La gaieté Justine Lévy

"C'est quand je suis tombée enceinte que j'ai décidé d'arrêter d'être triste, définitivement, et par tous les moyens. On se connaissait depuis quoi ? trois, quatre jours ? et Pablo m'a dit qu'il voulait un enfant, un chien, une maison et une bière bien fraîche, là, maintenant, tout de suite. Je lui ai servi la bière, j'en avais plusieurs packs d'avance pour maman, mais pas au frigo, maman précisait toujours pas trop fraîche s'il te plaît, avec un petit sourire qui voulait dire c'est comme ça que je l'aime, moi, la bière, pas trop fraîche, comme si c'était une affaire de goût, alors qu'en fait elle ne pouvait plus supporter le froid, à cause de ses dents toutes pourries.
Pablo a siroté sa bière tiède, mais il ne me lâchait pas du regard, il attendait la suite, il attendait que je lui sorte le chien, l'enfant et la maison, hop, comme le lapin du chapeau, comme si tout était simple, comme si on pouvait passer du flirt à l'amour en une seconde, comme si on pouvait le choisir, le décider, qu'il suffisait d'en avoir envie. Moi à cette époque je ne savais plus de quoi j'avais envie, l'envie était partie, elle m'avait quittée avec la confiance, l'appétit, la gaieté. Ses yeux larges et clairs posés sur moi, Pablo attendait tranquillement que je réponde, que je me décide, la maison, l'enfant, le chien, l'amour aussi, bien sûr, il attendait l'amour, ça allait avec la maison l'enfant et le chien.
C'était il y a dix ans. C'est loin, dix ans. J'ai guéri. Il m'a guérie. On n'en meurt pas forcément, de ces chagrins-là. Parfois je me dis que ça n'a même pas laissé de trace, pas de cicatrice, pas de marque, rien, régénération, renouvellement des cellules, le coeur tout neuf, comme avant. Ce n'est pas tout à fait vrai, bien sûr. Pablo a fait du bon boulot, on ne voit pas les coutures, mais je sais bien reconnaître, moi, les premiers signes de l'effondrement : cette sensation bizarre, comme si je tombais, mais à l'intérieur de moi, quand je tombe, justement, par hasard, sur le visage de l'autre ; et cette colère assourdie, presque rassurante, mais toujours là, gravée en moi.
Et puis cette autre peur très ancienne qui s'est fossilisée et qui se réanime quand je pense à l'avenir, aux chagrins amoureux, aux chagrins tout court de mes enfants, de nos enfants, une peur d'avance, la peur par anticipation des salauds qui leur feront du mal comme lui m'a fait du mal à moi. Il faut qu'ils soient forts, nos enfants, je suis contente de les découvrir plus solides que moi, moins sentimentaux, moins mélancoliques, je suis contente, en fait, qu'ils ne me ressemblent pas."



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