Avant d'être célébré comme écrivain, Joseph Roth fut un journaliste vedette de la presse écrite. Reportages de guerre, articles politiques ou
chroniques judiciaires, les textes sélectionnés dans cette anthologie entretiennent une étroite correspondance avec son œuvre littéraire. Ils
empruntent volontiers aux codes de la nouvelle et, dans le même style acéré, certains personnages ont directement inspiré leurs homologues
romanesques.
La littérature n'est jamais loin, mais l'intention est celle d'un témoin direct : il s'agit de « dessiner le visage du temps », de rendre compte d'une
époque et de la dénoncer. Au fil des articles présentés dans l'ordre chronologique, on chemine avec Roth à travers les régions ébranlées par la
défaite de 1918 : guerre russo-polonaise, troubles politiques en Hongrie, en Silésie, en Rhénanie. S'il affiche un parti pris, c'est celui des
républiques, d'Autriche puis de Weimar, contre les tentations autoritaires. C'est aussi celui des victimes, des réfugiés, des déplacés, des
expulsés, en particulier des juifs de l'Est menacés par l'antisémitisme. On découvre un Roth engagé qui mène par l'écriture un combat de plus
en plus désabusé contre le nationalisme identitaire et la violence xénophobe. Il assiste au procès des assassins du ministre Rathenau, à celui de
Hitler après le putsch raté de 1923. Il scrute les faits divers, les affaires de mœurs, comme des révélateurs de leur temps. Exercice obligé pour
les journalistes de langue allemande, son récit de voyage en URSS, intégralement traduit, témoigne d'un regard singulier. Roth s'y montre sans
illusion sur l'Union soviétique juste avant la terreur stalinienne mais aussi curieux et impressionné, non sans réserves, par l'effort de
modernisation de la Russie.