Couronné à l'unanimité par le prix Goncourt en 1970, le roman Le Roi des Aulnes de Michel Tournier, dont le titre fait référence au célèbre poème Erlkönig de Goethe, nous raconte l'odyssée d'Abel Tiffauges (Tiffauges est le nom d'une ancienne terre de Barbe-Bleue).
Abel, dit par certains Mabel (ma belle ?), est un garagiste de 120 kilos dont le sexe est minuscule. Il rôde autour des établissements scolaires. Au cours des deux années qui ont précédé la débâcle, il a tenu un journal où il ne néglige pas l'imparfait du subjonctif. Ses souvenirs de collège alternent sous la plume de l'auteur avec ses considérations sur l'art, la photographie, l'opéra, le transit intestinal, les turpitudes de l'Église, la « vérole patriotique », « l'aberration conjugale », la peine de mort ou le code pénal, et la justification plus ou moins claire d'une pédophilie qui ne sera franchement dévoilée que vingt ans plus tard.
Après ce démarrage de quelque 140 pages, dont certaines il est vrai superbes, on découvre un grand roman qui nous entraîne en Prusse orientale, pendant la seconde guerre mondiale. Tiffauges, qui a été fait prisonnier en Alsace, dit sa joie d'entrer en Allemagne, véritable terre promise. (...) Le roman donne libre cours à une germanophilie manifeste (d'un point de vue extramoral, purement esthétique) comme à un certain goût de la provocation.
Fruit d'un travail de documentation à la Flaubert (sur les pigeons voyageurs ou la vénerie, par exemple), mais avec un débordement du réalisme vers l'onirique et le fantastique, Le Roi des Aulnes est écrit dans une langue classique, savamment descriptive et riche de mots rares, non sans beauté.