«Comment accéder à une vie plus haute si nous tuons d'abord toutes nos raisons de vivre...» Il arrivait au Moyen Âge qu'une ville assiégée et menacée par la famine chassât hors de ses murs les vieillards, les infirmes, les enfants, les femmes : toutes les bouches inutiles ; et souvent ces malheureux à qui l'ennemi ne livrait pas passage mouraient dans les fossés. C'est à cette mesure extrême que s'est résignée la commune de Vaucelles qui défend contre son ancien duc les libertés qu'elle vient de conquérir ; elle espère trouver son salut dans ce sacrifice ; mais elle s'aperçoit bientôt qu'elle est au contraire en train de perdre tous les biens pour lesquels elle combattait. La tyrannie qu'elle exerce à l'égard des faibles autorise toutes les tyrannies, celle de la passion comme celle de l'ambition ; car si l'on commence à traiter certains hommes comme des choses, c'est l'homme même qui paraît n'être plus qu'une chose, la justice, la liberté étant niées, seule la force commande. Peu à peu les échevins qui administrent la ville découvrent cette vérité : on ne peut pas atteindre une fin par n'importe quel moyen car certains moyens détruisent cette fin même qu'on veut faire triompher. La commune choisit alors d'affirmer contre la mort même son idéal de fraternité humaine et de liberté : les habitants se jetteront contre l'armée des assiègeants pour les balayer ou périr tous ensemble. La pièce s'arrête au moment où la porte s'ouvre pour leur livrer passage ; car, puisqu'ils ont accepté de mourir dans leur chair afin de vivre en esprit, le hasard des événements n'a plus de prise sur eux. Qu'ils réussissent ou qu'ils échouent, ils font triompher cette liberté pour laquelle ils luttent : ils sont vainqueurs.