C'est dans le roman qu'on peut lire, plus encore et autrement que dans l'histoire, le long et difficile dialogue entre deux humanités que la Révolution française a séparées : celle, aristocratique, de la civilité, du goût, du commerce des esprits, des murs et des manières ; celle, démocratique, qui devait les congédier au nom de l'égalité. Mais c'est dans le roman aussi que la Révolution peine à imposer les principes égalitaires. Car il n'y a pas, en littérature, de table rase. Le roman en France reste attaché par mille et un fils à la société que la Révolution a détruite ; il ne cesse de les renouer et de les tisser à sa manière : le monde évanoui se perpétue dans les Lettres. Mona Ozouf a voulu le retrouver en relisant quelques romans qui jalonnent le XIXe siècle, de Germaine de Staël à Anatole France, en passant par Balzac, Stendhal, George Sand, Hugo, Barbey d'Aurevilly, Flaubert, Zola. Au fil de ses lectures, elle repère ce que l'Ancien Régime a légué à la France moderne. Elle raconte les espoirs et les illusions qu'il continue à nourrir. Elle met en lumière ce que le travail de la démocratie comporte de vitalité, de promesses, de réussites individuelles ; mais aussi ce qu'il recèle de banalité, d'uniformité, parfois de désenchantement. La longue négociation que retrace cet essai entre Ancien Régime et Révolution s'achève sur un compromis, que bientôt l'affaire Dreyfus paraîtra dénoncer, sans pour autant parvenir à en altérer les termes.