Oeuvre sans doute la plus célèbre et la plus lue d'Ernst Jünger, ce récit scrupuleux ne se borne pas seulement au témoignage, il est encore et plus peut-être un roman d'apprentissage où nous voyons un jeune engagé volontaire se découvrir dans sa réalité spirituelle à travers l'expérience sanglante et atroce de la Première Guerre mondiale. Ici encore triomphe souverainement l'art à la fois lucide et poétique d'Ernst Jünger.
Extrait :
"Le temps où je demeurai couché, totalement inconscient, ne peut avoir beaucoup duré, si on le mesure à l'horloge - il a dû correspondre environ au moment qu'il fallut à notre première vague pour atteindre la tranchée où j'étais tombé. Je me réveillai avec le sentiment d'un grand malheur, enserré par d'étroites parois de glaise, tandis que l'appel : « Des brancardiers ! Le chef de compagnie est blessé ! » courait le long d'une file de corps pliés en deux. Un homme mûr, d'une autre compagnie, se pencha au-dessus de moi ; il avait un bon visage ; il déboucla mon ceinturon et ouvrit ma tunique. Deux taches rondes luisaient, au milieu du pectoral droit et dans mon dos. Je me sentais comme paralysé, enchaîné à la terre, et l'air brûlant de l'étroit boyau me baignait d'une sueur d'agonie. Mon bon Samaritain me rafraîchit en m'éventant avec mon porte-cartes. J'espérai, suffocant, l'obscurité..."