Depuis trente-cinq ans, Hanta écrase de vieux livres sous une presse hydraulique. Il écrase, il boit, il écrase, il soliloque en déambulant dans les rues de Prague. Cette culture qu'il est chargé de détruire, il s'est donné pour mission de la sauver. Dans l'avalanche de livres qui se déversent dans sa cave, il fait son choix, arrachant les uns à la mort, réservant à d'autres un traitement plus digne que celui auquel ils étaient promis. Ce faisant, il est bien loin d'atteindre les normes qui lui sont imposées... "Je ne suis venu au monde que pour écrire Une trop bruyante solitude", confiait Bohumil Hrabal.
Une trop bruyante solitude, d'abord diffusé en 1976 à Prague sous forme de "samizdat" (publication clandestine), est sans doute le livre qui a valu au grand écrivain tchèque le plus de notoriété. Majestueux cri de révolte lancé à l'assaut des sociétés totalitaires, l'histoire du narrateur, ouvrier dans une usine de vieux papiers destinés au recyclage, n'est pas sans faire penser à 1984 d'Orwell. Car notre héros, instruit presque malgré lui par la lecture des ouvrages interdits destinés au pilon (la Bible, le Talmud, les écrits de Lao-tseu entre autres), va faire renaître ces chefs-d'œuvres sous la forme d'une autre œuvre d'art (qui n'est pas sans rappeler les travaux d'un Jiri Kolar) : les pages broyées sont transformées en balles de papier décoratives ! Divers incidents et personnages tragicomiques viennent émailler cette fable sensible et émouvante qui invite le lecteur à une aimable réflexion sur le moderne, digne à la fois de nos philosophes des Lumières et des meilleurs esprits libertins.