Depuis des siècles les livres sont le legs des générations disparues - le don que nous font les morts pour nous aider à vivre. Dans notre culture, vivre sans les livres est donc une privation, un tourment qu'on ne peut comparer à rien. Sans les livres, toute vie est une vie ordinaire. Ne pas avoir l'expérience de la littérature n'empêche ni de connaître ni de savoir, ni même d'être " cultivé " : il manque seulement à la vie vécue d'être une vie examinée.
Car les Lettres, c'est notre langage métamorphosé ; ce sont nos mots : et voici que, dans le colloque singulier du livre et de son lecteur, s'ouvrent l'expérience élargie, et la pensée, et le rêve, et la possibilité d'être soi-même, véritablement, dans la communauté partagée. La pratique des livres n'est donc pas, dans notre vie, la part du rêve, un luxe gratuit, un loisir supérieur ou une marque de distinction.
Et les intellectuels se trompent gravement lorsqu'ils s'emploient à en dénoncer l'élitisme au lieu de faire que s'ouvre au plus grand nombre le règne émancipateur de la pensée dans les livres. D.S.