«Parce que le rayonnement solaire est sans contrepartie, parce que le soleil donne la vie pour rien, à la surface du globe, pour la matière vivante en général, l'énergie est toujours en excès. Si l'univers se dilapide ainsi lui-même, l'homme ne peut être que prodigue, "un rieur, un danseur, un donneur de fête". Seule son avarice d'être séparé le sépare de cette vérité solaire ; qu'il la nie, il ne peut cependant dépenser moins : il faut qu' une quantité déterminée d'énergie soit dépensée en pure perte. "Ma volonté décide de la modalité, non de la quantité de la perte." En pure perte, ce peut être l' accroissement du niveau de vie mondial : la multiplication du luxe, ou ce peut être la guerre atomique.
Si l'œuvre entière de Bataille développe cette théorie de l'excès ("part maléfique que nous tentons de dépenser pour le bien commun" - Sur Nietzsche), La Part maudite devait en être l'exposé systématique, comme fondement de "l'économie générale", science de l'usage des richesses. Un premier livre, La Consumation, parut en 1949. L' actualité (le plan Marshall, la guerre froide) l'inspire, mais cet ouvrage est d'abord le fruit d 'un long travail, dont ce volume retrace les étapes : La Limite de l'utile (1939-1945), fragments d'une version abandonnée aux marges de "l'expérience intérieure", L'Économie à la mesure de l'univers (1946), "notes préliminaires à la rédaction", enfin Théorie de la religion (1948 ), qui fait de la religion (fût-elle athéologique) l'ordinatrice de la dépense, en tant qu'elle est "recherche de l'intimité perdue, effort de la conscience claire pour devenir en entier conscience de soi". Les Conférences et les Annexes (Sade et la morale, La Religion surréaliste, Les Problèmes du surréalisme, une Notice autobiographique) qui complètent ce volume annoncent la suite, restée inédite, de La Part maudite : Histoire de l'érotisme (1951) et La Souveraineté(1954), qu'on trouvera dans le tome VIII de ces Œuvres complètes, avec les Conférences sur le non-savoir.»