"Peut-être que j'ai perdu l'esprit, mais ça ne me dérange pas, songea Moses Herzog. D'aucuns le croyaient cinglé et pendant un temps, lui-même douta d'avoir toute sa tête.
Mais aujourd'hui, bien qu'il se comportât bizarrement encore, il se sentait sûr de lui, gai, clairvoyant et fort. Comme envoûté, il écrivait des lettres à la terre entière, et ces lettres l'exaltaient tant que depuis la fin du mois de juin, il allait d'un endroit à l'autre avec un sac de voyage bourré de papiers.
Il l'avait porté de New York à Martha's Vineyard, d'où il était reparti aussitôt; deux jours plus tard, il prenait l'avion pour Chicago, et de là, il se rendait dans un village de l'ouest du Massachusetts. Retiré à la campagne, il écrivit continuellement, fanatiquement, aux journaux, aux personnages publics, aux amis et aux parents, puis aux morts, à ses morts obscurs et, enfin, aux morts célèbres.»
Saul Bellow, Herzog
«Tel est Herzog, la plus grande création de Bellow, le Leopold Bloom de la littérature américaine, à ceci près qu'avec Ulysse l'esprit encyclopédique de l'auteur se fait chair dans le verbe qu'il écrit, sans que Joyce confère jamais à Bloom sa vaste érudition, alors que dans Herzog Bellow donne à son héros, non pas seulement un état d'esprit, une tournure d'esprit, mais un esprit digne de ce nom."
En tout cas, Mr. Sammler devait reconnaître qu'après avoir surpris une fois le pickpocket en action, il désirait ardemment le voir de nouveau à l'œuvre. Il ne savait pas pourquoi. C'était un évènement marquant, et illicite - ou du moins, opposé à ses principes fondamentaux - , et il mourait d'envie d'assister à sa répétition. [...] Dans le mal comme dans l'art il y a l'illumination.