Une hypothèse traverse cette recherche : la pensée, et plus précisément ici l'ontologie, peut être évaluée à partir de la place qu'elle accorde, ou non, à l'indemne. Par l'indemne, entendons une région de l'être affranchie de tous dommages, de toute atteinte, de toute destruction. C'est contre le domaine d'extension de la destruction, contre la mort, contre le « mal », que cette part bénite de l'être est élevée, construite, assurant ainsi la fonction de ce qu'il nous faudrait nommer un fantasme d'indemnité. Le problème, c'est que ce fantasme ne protège pas contre la destruction réelle ; il peut même, d'une certaine façon, participer à ce processus.
D'allure générale, cette hypothèse prend pour nous une portée singulière une fois rapportée à la situation contemporaine. Une certaine forme de destructivité touche aujourd'hui les formes de vie - sociales, humaines et non-humaines - qui peuplent le monde. Heidegger peut nous permettre d'éclairer les causes de cette destructivité. Non pas d'un point de vue immédiatement économique, social ou politique, mais ontologique. Ce qui, d'abord et avant tout, est atteint, c'est la présence, la forme de la présence - son intensité, sa durée, sa qualité. La présence, dirons-nous, est consommée. Nous suivrons ainsi Michel Haar lorsqu'il traduit le terme de Gestell par celui de « con-sommation », où il nous faut entendre trois significations : fin, utilisation de type économique, et consumation. L'« arraisonnement », pour reprendre une traduction plus convenue du concept de Gestell, n'est autre que la façon dont le Capital s'avance, pour finir, dans la Technique.