Deux faits d'expérience personnelle marquent de leur empreinte les quatre nouvelles qu'on va lire : d'une part, la guerre et la défaite (Kenzaburo Oé avait dix ans quand, le 15 août 1945, l'Empereur d'essence divine s'est adressé à son peuple avec une voix humaine) ; d'autre part, la naissance en 1964 d'un fils mentalement diminué (Oé avait vingt-neuf ans). Il ne s'agit aucunement , toutefois, de récits autobiographiques, si grande est la puissance d'une création poétique alliant avec aisance la réminiscence au fantasme, le vécu au mythique, la brutalité au lyrisme. Gibier d'élevage séduira par la rigueur toute classique avec laquelle l'auteur décrit l'impact sur les esprits, dans un village montagnard, de la présence d'un prisonnier noir américain.
Dans Dites-nous comment survivre à notre folie nous sont contés les efforts d'un père pour nouer avec son fils, handicapé mental, des relations aussi étroites et fines que possible. Quant à Agwîî le monstre des nuages, récit étrange oscillant du quotidien le plus concret à la vision hallucinatoire, il fait intervenir le fantôme d'un bébé qu'on a fait disparaître à peine né en raison d'une malformation supposée de l'encéphale.
Plus déconcertante, mais d'une élaboration très originale, est l'autre nouvelle de : Le jour où il daignera lui-même essuyer mes larmes, qu'il faut lire d'une traite sans se laisser arrêter par les étrangetés initiales : une savante et progressive desquamation dévoile peu à peu le tuf du récit.