Pourquoi les hommes politiques parlent-ils d'inverser la courbe du chômage plutôt que des chômeurs? Pourquoi mesurer ses efforts plutôt que de se dépenser sans compter?..
D'où vient donc cette manie à tout quantifier, à sans cesse parler de nombres et de statistiques au point de les substituer à la réalité? La faute à la science, diront certains... et pourtant, c'est d'abord comme instrument de mesure démocratique et industriel qu'est apparue la statistique. De là, à en faire une réponse à nos maux politiques?..
La statistique est aujourd'hui un fait social total: elle règne sur la société, régente les institutions et domine la politique. Un vêtement de courbes, d'indices, de graphiques, de taux recouvre l'ensemble de la vie. L'éducation disparaît derrière les enquêtes PISA, l'université derrière le classement de Shanghai, les chômeurs derrière la courbe du chômage... La statistique devait refléter l'état du monde, le monde est devenu un reflet de la statistique!
L'auteur:
Olivier Rey, mathématicien et philosophe, est chargé de recherche à l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques (CNRS/Paris 1/ENS). Après avoir enseigné les mathématiques à l'École polytechnique, il enseigne aujourd'hui la philosophie à l'Université Paris 1. Il est l'auteur, notamment, d'"Itinéraire de l'égarement" (Le Seuil, 2003), "Une folle solitude" (Le Seuil, 2006), "Une question de taille" (Stock, 2014).