Les quatre détenus attendaient Boria Maks, adossés au mur de pierre sale dont ils ne sentaient plus le froid. Ils discutaient dans la cour de la prison, et fumaient des cigarettes turques de contrebande, vendues à prix d'or. Ils se remplissaient les poumons d'une fumée acre, qui, une fois recrachée, formait de petits nuages figés dans l'air glacé. Des myriades d'étoiles scintillaient au firmament : la Grande Ourse, le Lynx, le Chien, Persée. On retrouvait ces constellations dans le ciel de Moscou, mille kilomètres plus bas, mais l'ambiance, dans les clubs tapageurs et surchauffés de Trehgomy Val et de la rue Sadovnicheskaya, n'avait rien à voir avec la vie, ici, dans l'Oural.
Les prisonniers de Colonie 13 fabriquaient, dans la journée, des pièces détachées de T-90, tanks russes et engins de guerre redoutables. Mais le soir, de quoi ces hommes dénués de conscience, et incapables d'émotion pouvaient-ils parler ? De leur famille, bizarrement. La stabilité d'un foyer avait donné une structure à leur ancienne vie, comme les murs de cette centrale aujourd'hui, leur univers se résumant à leurs activités - mensonge, traîtrise, vol, extorsion de fonds, chantage, torture et meurtre. Leur existence se déroulait en marge de la civilisation telle que la plupart des gens la conçoivent. Ainsi, le fait de retrouver une femme et des enfants, le soir, de bonnes odeurs de betterave cuite, de chou bouilli, de viande braisée, et la brûlure d'une vodka poivrée, symbolisait un confort dont ils avaient tous la nostalgie. Nostalgie qui créait entre eux un lien aussi fort et inaltérable que les tatouages de leur sombre métier.
Un sifflement discret fusa dans l'air glacé, et leurs souvenirs s'évaporèrent, comme de l'essence de térébenthine sur un tableau. La nuit perdit ses couleurs fantasmées et redevint noire avec l'apparition de Boria Maks, homme à la musculature d'acier. Depuis son incarcération, Maks avait pratiqué chaque jour le saut à la corde et l'haltérophilie. Tueur à gages pour la Kazanskaïa, une branche de la gruppe-rovka russe spécialisée dans le trafic de drogue et de voitures volées, ce colosse était un mythe vivant pour les quinze mille détenus de Colonie 13. Les gardiens le méprisaient, mais le craignaient. Sa réputation le précédait. Il n'était pas sans rappeler l'oeil d'un cyclone, autour duquel tourbillonnaient les vents hurlants de la violence et de la mort. Il venait d'éliminer le cinquième homme de la petite bande. Kazanskaïa ou pas, ils allaient le punir, faute de quoi ils ne survivraient pas longtemps dans ce pénitencier.