Il est des moments dans la vie où un rien suffit à faire basculer le destin, où pour moins que rien, un regard, un mot, un paysage, l'homme tranquille se dégoûte soudain de sa tranquillité, la femme fatale rencontre la fatalité, celui qui va tuer se détourne de sa vengeance, celle qui était décidée à quitter son amant l'épouse.
Il y a, dans ces dix-neuf récits de Françoise Sagan, une douceur amère qui prend au cœur. Douceur d'autant plus angoissante que les personnages mis en cause sont presque tous des gens comblés. Non pas de ces hommes et de ces femmes qui se prêtent à une pitié facile, mais de ceux qu'on envie pour leur apparent bonheur.
D'un doigt léger, sans avoir l'air d'y toucher, Françoise Sagan gratte cette apparence, cette croûte, l'arrache, et voici devant nous, fragiles, inquiets, des gens comme les autres, et si seuls. Car c'est la solitude qui relie entre eux ces récits, pèse sur chacun d'eux. Une solitude que parfois, d'une pirouette, l'auteur attrape pour l'épingler au mur et nous la donner à contempler, dans un sourire. Et ce sourire, c'est la détente, la note de charme, une façon de laisser entendre que la vie et les hommes, au fond, ce n'est pas si sérieux... Des yeux de soie qui caressent et rassurent, mais quel désespoir cachent-ils ?