La reine des mystères martiens
Rares sont les personnes des générations postérieures à la mienne qui mesurent l'influence majeure de Leigh Brackett sur la science-fiction et la fantasy. Ici ou là, Ray Bradbury et moi avons évoqué l'amour et le respect qu'elle nous inspirait, ce qu'elle nous a appris et les encouragements qu'elle nous prodiguait. Même si vous avez lu nos témoignages, vous ignorez peut-être que l'excellente série «Dumarest», menée par E. C. Tubb pendant trente ans, se voulait une imitation assumée et avouée de la saga d'Eric John Stark qui a valu à Brackett tant d'admiration. Je me suis fait raconter les récits de Stark bien avant de les lire... tout comme, tandis que je traversais l'Allemagne en auto-stop, je me suis fait raconter les textes de Borges par un Suédois hispanophone bien avant qu'on ne les traduise en anglais. «Ted» Tubb pouvait citer de mémoire des passages entiers de Brackett et concocter une version personnelle de ses récits au débotté ! Il n'était pas le seul. Avec lui et d'autres auteurs de SF britanniques des années 50, dont Ken Bulmer et John Brunner, nous avions de longues conversations passionnées sur l'oeuvre de la dame et rivalisions pour recréer son style enivrant lors de «cadavres exquis» impromptus (avant que les écrivains ne commencent à se prendre pour des stars dans les conventions de SF, il y en avait toujours un pour trimballer sa machine à écrire et on se relayait dessus). Tubb excellait à l'exercice. Le deuxième roman de Brunner, The Wanton of Argus, n'est pas sorti de nulle part, et on voit l'empreinte de Brackett sur les meilleurs livres d'aventures des débuts de John, des livres qu'on tient désormais, avec Tous à Zanzibar et Sur l'onde de choc, pour le pan le plus vivace, le plus accompli de son oeuvre.