Parmi les reines de Prusse, il n'en est aucune qui puisse prétendre au statut de Marie-Thérèse en Autriche ou de Catherine II en Russie. En plus de leur fonction génitrice, destinée à assurer la continuité de la dynastie, elles sont tenues à un rôle de représentation auprès de leur époux. Puis, ce parcours achevé, le silence s'installe progressivement autour de leur mémoire. Seule Sophie-Charlotte, la première épouse de Frédéric Ier, qui donna son nom au château de Charlottenburg et qui, modèle d'une princesse éclairée, fut à l'origine de la fondation de l'Académie des sciences, échappe à cette règle, mais sans jamais rivaliser, dans la mémoire collective, avec la reine Louise.
Il s'agit ici d'un autre registre. Formé, comme toujours, de la rencontre d'une personnalité et des circonstances, un mythe a rapidement pris corps autour de la reine Louise (1776-1810). Que la nature l'ait dotée de l'atout de la beauté n'y est pas étranger ; qu'elle ait cultivé les valeurs familiales y a certainement contribué ; mais surtout sa confrontation avec Napoléon fit d'elle l'héroïne de la résistance prussienne et l'âme de la renaissance qui conduisit à la « guerre de libération » de 1813 ; sa mort avant ce terme, dans l'éclat de son âge, a encore ajouté à sa légende.
Ce mythe a traversé tout le xixe siècle et ses effets se sont manifestés jusqu'au tournant de 1933. On aurait pu le croire disparu après la naissance d'une nouvelle Allemagne des cendres de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, en parallèle au regain d'intérêt porté à la Prusse, une série de travaux en allemand consacrés à la reine Louise depuis 1989 en annonce peut-être une nouvelle vie. Jean-Paul Bled est le meilleur des historiens français spécialisés dans l'histoire de l'Allemagne et de l'Autriche des xviiie et xixe siècles.
Le succès de ses biographies sur François-Joseph, Frédéric II ou Marie-Thérèse, ou son Histoire de Vienne et son Histoire de la Prusse le montrent surabondamment.