Le succès considérable que ce roman (sous le titre The Rule of the Bone) connaît aux Etats-Unis tient sans doute à l'art, si particulier chez Russell Banks, qui consiste à se mettre à fond dans la peau, la mentalité et le langage d'un personnage à la fois emblématique et révélateur de la société où il évolue. En tout cas, le récit prolixe du jeune Bone - l'un de ces mall rats (rats des galeries marchandes) que les Américains ont vu surgir dans leurs cités tentaculaires -, narrateur et personnage central du livre, renoue avec la tradition des petits héros de basfonds. On n'a pas manqué d'ailleurs, aux Etats-Unis, de voir en Bone le successeur, un siècle plus tard, de Huckleberry Finn, l'inoubliable personnage de Mark Twain. Et il est vrai que, de son quatorzième à son quinzième anniversaire, tout au long du parcours qui l'amène à se connaître, à former son jugement, à trouver son équilibre, et même quand il revend de la drogue ou saccage des lieux qui l'ont accueilli, cet impayable Bone manifeste un fond de bon sens, donc une espérance. Et ainsi, ce petit Lucifer, porteur de lumière dans ses égarements, prend-il une valeur universelle et se montre-t-il si attachant, dans un contexte social qui ne contredit pas le pessimisme habituel de Russell Banks, ce qui fait de ce roman une féerie.