Il ne savait pas où il allait mais il y allait en courant. C'était ce que je me disais d'Aaron avant qu'il ne parvienne finalement à tous nous épater et à tous nous dépasser. Avant aussi qu'on ne se parle plus. Je l'avais tout de suite trouvé vif et brillant mais je pensais que son esprit brouillon et sa capacité à s'enthousiasmer pour un milliard de choses à la fois le perdraient. Raté ! C'est moi qui me suis perdue. C'est également moi qui l'ai perdu. J'ai mis du temps à le faire partir de ma vie. Du temps aussi à me convaincre qu'il ne fallait plus le voir. Vous savez, je ne l'ai pas aimé tout de suite. Il n'a jamais été très beau. Et puis, quand je l'ai rencontré, j'avais l'âge où l'on a envie d'être courtisée. Si tant est que cet âge passe un jour, bien sûr. Lui ne pensait qu'à me faire rire ou à me consoler. Il ne m'a jamais regardée comme j'aurais voulu qu'il me regarde. Ce n'est pas l'histoire d'un échec ou d'une trahison. Ce n'est pas l'histoire d'une rupture. C'est plutôt l'histoire d'un amour impossible. Mais n'y a-t-il rien de plus fort qu'un amour sacrifié ? Rien de plus important dans une vie que ces moments où l'on voudrait égorger tous les gens qui se roulent des pelles devant nous quand, nous, nous souffrons intérieurement d'être mal tombés et mal aimés ? Il voulait que l'on soit amis. Mais dites-moi qui a déjà vu naître une amitié sur une frustration affective et sexuelle ? Vous ne comprenez pas où je veux en venir ? C'est vrai, je suis floue. Le mieux est sûrement de revenir au tout début. De vous dire pourquoi j'ai aimé le voir courir mais pourquoi, peu à peu, je n'ai plus eu la force de le suivre ni de l'accompagner. Mais peut-être devrais-je avant cela me présenter. Après tout, c'est bien la moindre des choses puisque nous allons passer un moment ensemble. Je m'appelle Lisa Durand. Comme mon patronyme ne l'indique pas, je suis juive. Par ma mère seulement mais, comme vous le savez, cela suffit. Quand j'ai rencontré Aaron, j'avais une grande étoile de David autour du cou. Je pensais que, de cette manière, les juifs de ma classe me remarqueraient à défaut de se tourner vers moi quand le professeur m'appellerait en faisant la liste des présents. Je cherchais un mari, quoi. Je n'avais que 18 ans mais déjà très envie de me caser pour la vie. J'avais l'apparence d'une jeune fille de son temps mais je croyais bêtement au grand amour, à l'âme soeur qui vous demande en mariage en vous chantant Ce rêve bleu. On devrait filer des baffes aux parents qui racontent aux petites filles ces histoires de princesses qui rencontrent un prince charmant beau gosse sur un cheval blanc une fois qu'elles ont passé le balai ou dormi cent ans. Dans la vraie vie, le prince, il faut souvent aller le chercher, et son cheval blanc, il s'en sert souvent pour se barrer tout seul au petit matin.