Le déclin de l'Empire américain aura-t-il lieu ? Oui, répond le démographe Emmanuel Todd dans ce brillant essai à contre-courant des idées reçues sur "l'hyper-puissance" de l'Amérique. Cette hypothèse est fondée sur le constat suivant : les États-Unis ne peuvent plus vivre de leur seule production : "Au moment même où le monde [...] est sur le point de découvrir qu'il peut se passer de l'Amérique, l'Amérique s'aperçoit qu'elle ne peut plus se passer du monde." Et le chercheur de s'appuyer avec brio sur une batterie de données empruntées aussi bien à l'économie qu'à la démographie, à l'anthropologie qu'à la géostratégie pour étayer sa thèse.
Dépendance économique, affaiblissement démocratique, tels sont donc les principaux symptômes de déclin identifiés par l'historien qui, en 1976, avait prévu l'effondrement soviétique uniquement sur des observations démographiques. Des signes qui permettent de comprendre dans un mouvement qui n'est paradoxal qu'en apparence pourquoi les États-Unis sont aussi actifs sur la scène internationale. Pour conserver symboliquement le statut de superpuissance qu'elle s'est, de fait, acquise depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à l'effondrement de l'empire soviétique, l'Amérique doit mettre en scène sa puissance sur le terrain géostratégique. Selon trois principes : ne jamais résoudre définitivement un problème ; se focaliser sur des micropuissances ; développer un arsenal militaire censé être indépassable. La lutte contre le terrorisme, les menaces contre "l'axe du mal" et l'Irak apparaissent ainsi pour ce qu'ils sont : des prétextes.
Bien sûr, il ne s'agit pas pour Emmanuel Todd de négliger les dangers du terrorisme international et les menaces qu'il fait peser sur le monde. Il s'agit de comprendre comment les États-Unis sont devenus en moins de dix ans un obstacle à la paix dans le monde. Et de dessiner les contours d'un monde dans lequel l'Amérique sera certes toujours une grande puissance mais une parmi d'autres.