Celestino Marcilla, Madrilène de famille bourgeoise, a milité à gauche pendant les années qui précédèrent la guerre civile, puis combattu avec une bravoure remarquée dans les milices, puis s'est réfugié en France au moment de la défaite de 1939. Alors une fille - son unique enfant - lui est née, Pascualita, et sa femme est morte. Celestino a emmené sa fille avec lui à Paris, qu'il n'a pas quitté depuis. En 1959, elle a vingt ans, et il en a soixante-sept. Celestino, à Paris, vit de ses rentes, qui lui donnent une certaine aisance. Il ne fait rien, que penser ou rêver politique, passant ses journées à lire et à annoter des journaux et des livres, à écrire des articles de politique ou de sociologie qui sont refusés partout, et un ouvrage qui n'avance pas - au côté de Pascualita, qui n'a qu'indifférence et dédain pour les préoccupations ou plutôt l'obsession de son père. Quelle sont au juste les idées de Celestino ? Elles sont confuses, et un de ses amis ne craint pas de le traiter de «retardé idéologique», voire de «faux homme de gauche». Individualiste intraitable, en Espagne, et même pendant la guerre civile, il n'a été inscrit à aucune formation. Il est plutôt anarchiste, très nettement et uniquement destructif, toujours plus ou moins en marge du parti pour lequel il s'est battu pendant trente et un mois. Comment cet homme passionné, violent, autrefois combattant intrépide, aujourd'hui encore tendu et abrupt dans ses relations orageuses avec ses amis et avec sa fille, mais que la défaite, l'exil, l'âge - et peut-être quoi encore ? - ont recroquevillé et rendu pusillanime lorsqu'il s'agit de sa sécurité, comment cet homme en arrive-t-il à retourner volontairement en Espagne, sans obligation de la faire, et ce qui lui arrive en Espagne, c'est le sujet - du moins le sujet principal, car il y en a nombre d'autres - du Chaos et la Nuit.