Jusqu'au milieu du siècle dernier, les habitants de la plupart des régions littorales furent tenus pour des demi-sauvages rebelles à l'autorité
venue du dehors et sur qui l'effort séculaire de civilisation des moeurs n'avait produit que peu d'effets.
Il est vrai qu'ils étaient à peu près coupés de l'intérieur et que leur environnement les différenciait des populations d'une France terrienne qui
s'intégrait lentement mais sûrement. Pour une part, ils vivaient d'activités s'apparentant à la cueillette: pêche, récolte du varech et, quand les
flots se montraient généreux, récupération de marchandises ou d'éléments de navires venus s'échouer sur les côtes. Tout ce que la mer
apportait à ces gens pauvres et frustes était pour eux un don du Ciel: quelques bouts de bois pour se chauffer, un morceau de fer pour
fabriquer un outil, une guenille, les grands jours une barrique de vin ou même quelque denrée coloniale à monnayer... Comment demander à
ces communautés de croire, comme on voudrait les en convaincre, qu'ils commettent là un péché grave, qu'ils lèsent le roi, c'est-à-dire l'Etat (à
qui reviennent en principe les épaves) et se comportent en barbares? La répression, parfois brutale, souvent maladroite, toujours source de
malentendus, ne fait que souder davantage encore des populations unies par une solidarité profonde: on refuse de parler et surtout on ment
aux enquêteurs, et il n'est pas rare de voir des curés, des seigneurs fermer les yeux _ quand ils ne tirent pas eux-mêmes profit de ces trafics
illicites.