« Depuis le temps, les routes autour du refuge ont été dégagées des épaves qui les encombraient. On chasse des nuages de cendres en descendant dans les vallées, entre les anciennes pistes de ski et les pylônes rouillés des remonte-pentes. Avant, on y voyait des pendus qui séchaient dans le vent, maintenant leurs os sont à terre, dispersés par les charognards. On traverse des villages fantômes, éteints, les rideaux comme des toiles d'araignées aux fenêtres. La suie qui recouvre tout y fait comme un glacis, une fine pellicule de givre brillante, des facettes d'obsidienne. On ne s'y arrête pas : soit c'est des villages qu'on a déjà visités, soit parce qu'on sait que des gens s'y cachent, et tant qu'ils ne nous attaquent pas, on n'ira pas les déranger.
Sur le plateau, les gars ouvrent l'œil. Bonnets enfoncés jusqu'aux sourcils, écharpes sur le nez, les armes dans les mains. C'est pas des vivants qu'on se méfie le plus, du moins tant qu'on roule. Et on en voit : des silhouettes tordues qui errent dans les champs gris, souvent seuls, parfois par deux ou trois, dans des états de conservation variés, du récent qui promène ses escarres et ses mutilations à des presque-squelettes auxquels il ne reste que des reliquats de chair gluante et encore un peu de cervelle pour fonctionner, ceux-là tomberont bientôt. Après je ne sais pas s'ils sont encore vivants à leur manière, tout tordus par terre et les os pointés vers le ciel comme pour pousser un cri qui n'en finirait pas, mais au moins ils ne bougent plus. »