Au-delà de la peur de manquer, de la famine, angoisse prégnante en Occident jusqu'à une période encore récente, il y a la crainte de manger du
corrompu, du malsain, de l'immonde. En même temps que l'Occident a cherché à réduire la pénurie, il a progressivement mis sous surveillance
l'ensemble de la chaîne alimentaire. Notre comportement contemporain vis-à-vis de la nourriture a onc une longue histoire que Madeleine
Ferrières s'attache à reconstituer et à analyser. Des règlements médiévaux de boucherie aux perspectives géniales de Giovanni Lancisi,
médecin de la cour pontificale au début du XVIIIe siècle ; du conflit entre symbolique faste ou néfaste des aliments et médecine et hygiénisme,
mais aussi, plus tard, avec la chimie et les sciences vétérinaires, à la peur des poissons, levures, plantes ou légumes importés d'autres
horizons ; de la suspicion à l'endroit du cuivre ou des conserves à la mise en cause de l'air vicié des villes, l'Occident invente, avec précaution
et prévention, un ordre alimentaire illustré de manière éloquente au début du XXe siècle par le Pure Food and Drug Act américain. Mais cette
invention n'est pas allée sans une autre : celle du consommateur. Rassasié, revendiquant une « bonne bouffe », prudent, voire savant ou se
croyant tel, il appartient à l'utopie de l'abondance et de la sécurité. Miroir formidable de notre Occidental way of life que cette question des peurs
alimentaires !