D'aucun peintre on ne possède autant de commentaires sur son œuvre qu'on en possède de Jean Dubuffet lui-même, à propos de la sienne. Imposant, clairvoyant appareil critique. Trop imposant, trop clairvoyant appareil critique qui ne manque sans doute pas d'influencer la vision que nous savons de son œuvre et de nous empêcher même d'imaginer la vision que nous en aurions pu avoir. Nous ne pouvons en parler innocemment c'est-à-dire avec le droit à l'erreur que l'ignorance suppose. Nous en parlons donc en état de culpabilité. Vis à vis de ses propres commentaires si nous nous en écartons. Vis à vis de nous mêmes si nous les prenons en considération avant même de regarder l'œuvre en cause. Il est tentant, voire obligé, d'établir un rapprochement entre le texte original - les tableaux, sculptures, monuments - et sa traduction - cette somme d'écrits critiques rassemblés dans les deux tomes des Prospectus et tous écris suivants. Il serait tentant de le faire si nous pouvions échapper à la contrainte de devoir rapprocher les uns des autres, et à la limite, faire coïncider l'écrit et la peinture. Car si Jean Dubuffet affirme que ces textes il les a écrits, à la fois pour n'avoir pas à répondre aux journalistes, qui voulaient le faire s'expliquer sur ses travaux, et aussi pour quelques amateurs, on pourrait observer que l'écrire chez Jean Dubuffet constitue une sorte d'accompagnement qui fait écho à ses peintures, qui leur sert de contrechant. L'écrire, ici, joue-t-il le rôle d'une parole complémentaire qui surfilerait un discours principal ? Les linguistes ont-ils défini ce qui d'un message est indispensable à la communication : ses traits pertinents ou ses redondances ? Dans l'œuvre de Jean Dubuffet quels sont les traits pertinents, quelles sont les redondances ? A moins que les écrits de Jean Dubuffet ne soient l'équivalent d'une seconde articulation laquelle fait défaut à l'art pour que celui-ci accède au statut de langage qui lui demeure contesté ?