» Article de 22.03.2017 » page 9

Hölderlin, Cahier de L'Herne

Hölderlin et la France : il s'agit là certainement d'une conjonction singulière et privilégiée. Non pas seulement en raison du bref séjour à Bordeaux, d'un premier voyage assez énigmatique à travers la France et du dramatique retour, marqué par les signes de l'égarement. Sans doute la France représente-t-elle, dans la constellation hölderlinienne, réelle et imaginaire, historique et géographique, une instance décisive, puisqu'elle constitue comme la lointaine possibilité d'une expérience de la Grèce. A l'automne 1802, Hölderlin confie à Bohlendorff le choc de cette rencontre : « L'élément violent, le feu du Ciel et l'apaisement des gens dans la nature [...], cela m'a constamment saisi [...] et je peux bien dire qu'Apollon m'a frappé [...] L'athlétique des gens du Sud, dans les ruines de l'esprit antique, me rendit plus familière la manière d'être propre des Grecs » (Lettre n° 240).
Mais c'est aussi en France, après les premières traductions des années trente (au premier rang desquelles celle des Poèmes de la folie, due à Pierre Jean-Jouve), et les études de la germanistique universitaire (Claverie, Tonnelat, Bertaux), que la réception du poète prend dans l'après-guerre une tournure remarquable. Les commentaires de Heidegger et l'horizon générale de sa « lecture » ont certainement joué un rôle tout à fait décisif. Henri Corbin a traduit, dès 1937, dans la belle revue Mesures, l'essai sur Hölderlin et l'essence de la poésie, qui sera repris l'année suivante chez Gallimard, dans le recueil « Qu'est-ce que la métaphysique? ». Les déterminations heideggériennes de Hölderlin comme « poète du poète », poète de l'« essence de la poésie », annonciateur du sacré en un temps de détresse - mais aussi poète des Allemands, ou mieux de l'Allemagne devant laquelle son œuvre se tient comme un destin possible -, si elles rencontrèrent assez tôt ici même de vigilantes critiques (Paul de Man, Blanchot), marqueront incontestablement des décennies d'interprétations et de traductions.
On ne saurait naturellement réduire à ce commun dénominateur les tentatives de plusieurs générations de traducteurs, de Gustave Roud à André du Bouchet, en passant par Tardieu, Ph. Jaccottet, Jean-Pierre Faye ou Jean Bollack. Mais le volume de la Pléiade, publié sous la direction de Jaccottet, et qui constitue par lui-même un signe patent de la situation éminente du poète en ce pays, porte clairement l'empreinte des travaux de la Revue de Poésie (Michel Deguy, Fr. Fédier). Ainsi la traduction et surtout le travail poétique sur la traduction d'un poète étranger ont contribué de manière très remarquable, comme l'a étudié notamment Bernhard Böschenstein, à façonner la diction même de quelques-uns de nos grands poètes. Qu'on songe par exemple à René Char !
Les textes ici rassemblés entendent bien prendre acte de cette situation nationale, sans nullement prétendre faire le bilan d'un demi-siècle d'études ou plus généralement de réception hölderliniennes. Si nous avons voulu présenter un large éventail de traductions différentes, certaines anciennes et d'autres toutes récentes, c'est naturellement pour souligner la diversité - légitime et nécessaire - des lectures et des approches. Mais sans viser à égaler l'érudition de la Forschung allemande, s'agissant d'un auteur qui demeure un de ses objets de prédilection, nous avons tenu à ouvrir largement ce Cahier à des contributions internationales, pour marquer à la fois la multiplicité des approches et leur convergence relative, quand elles veulent bien s'armer des méthodes historiques et philologiques. Si de telles contributions risquent de mettre à mal le « mythe » du poète fou, médiateur inspiré entre les dieux et les hommes, nous pensons qu'elles peuvent aussi contribuer à renouveler l'écoute de la parole hölderlinienne, en soulignant en elle la à laquelle la poésie des modernes doit aussi pouvoir accéder, sans pour autant porter atteinte à sa dimension « prophétique ».



Maurice Blanchot, Cahier de L'Herne

Maurice Blanchot (1907-2003) est l'un des écrivains et des penseurs majeurs du XXe siècle, mais il reste peu connu du grand public du fait de sa radicale discrétion, par son refus de toute interview, toute photo ; sa vie ressemble - du moins en apparence - à une incarnation possible de l'effacement. Donner une certaine visibilité à ce retrait, en comprendre la nécessité : tel peut être le premier objectif de ce Cahier. Admiré par Levinas, Derrida, Nancy, et tous les grands philosophes français, il fut l'ami de Georges Bataille, René Char, d'Henri Michaux, de Louis-René des Forêts, Marguerite Duras et beaucoup d'autres. Il est célébré aux États-Unis où des universités consacrent des enseignements à son œuvre. En France ses livres réputés difficiles, énigmatiques ont été longtemps réservés, à un petit cercle de lecteurs ; aujourd'hui ce cercle s'agrandit : des thèses, des colloques et plusieurs collections lui sont consacrés. Blanchot est traduit en anglais, espagnol, italien, allemand, japonais et commence à être traduit en polonais, en néerlandais, en bulgare, en hébreu, et bientôt la totalité de l'œuvre sera accessible en chinois.



Jean Dubuffet, Cahier de L'Herne

D'aucun peintre on ne possède autant de commentaires sur son œuvre qu'on en possède de Jean Dubuffet lui-même, à propos de la sienne. Imposant, clairvoyant appareil critique. Trop imposant, trop clairvoyant appareil critique qui ne manque sans doute pas d'influencer la vision que nous savons de son œuvre et de nous empêcher même d'imaginer la vision que nous en aurions pu avoir. Nous ne pouvons en parler innocemment c'est-à-dire avec le droit à l'erreur que l'ignorance suppose. Nous en parlons donc en état de culpabilité. Vis à vis de ses propres commentaires si nous nous en écartons. Vis à vis de nous mêmes si nous les prenons en considération avant même de regarder l'œuvre en cause. Il est tentant, voire obligé, d'établir un rapprochement entre le texte original - les tableaux, sculptures, monuments - et sa traduction - cette somme d'écrits critiques rassemblés dans les deux tomes des Prospectus et tous écris suivants. Il serait tentant de le faire si nous pouvions échapper à la contrainte de devoir rapprocher les uns des autres, et à la limite, faire coïncider l'écrit et la peinture. Car si Jean Dubuffet affirme que ces textes il les a écrits, à la fois pour n'avoir pas à répondre aux journalistes, qui voulaient le faire s'expliquer sur ses travaux, et aussi pour quelques amateurs, on pourrait observer que l'écrire chez Jean Dubuffet constitue une sorte d'accompagnement qui fait écho à ses peintures, qui leur sert de contrechant. L'écrire, ici, joue-t-il le rôle d'une parole complémentaire qui surfilerait un discours principal ? Les linguistes ont-ils défini ce qui d'un message est indispensable à la communication : ses traits pertinents ou ses redondances ? Dans l'œuvre de Jean Dubuffet quels sont les traits pertinents, quelles sont les redondances ? A moins que les écrits de Jean Dubuffet ne soient l'équivalent d'une seconde articulation laquelle fait défaut à l'art pour que celui-ci accède au statut de langage qui lui demeure contesté ?



Nietzsche, Cahier de L'Herne

Comme Nietzsche le dit à plusieurs reprises : la lecture de son œuvre n'est pas de celles dont on sort sans que rien n'ait changé. Et ceci est d'autant plus vrai que rien de ce qu'elle prophétise ou annonce ne s'est définitivement accompli. Nous ne sommes pas sortis de ce qu'elle décrit, que ce soit l'épuisement de la démocratie, les différentes formes de réactions au nihilisme qui ne font que le perpétuer (comme tous les extrémismes), la résistance, plus ou moins déguisée, des valeurs imposées par le christianisme. Nous n'échappons pas davantage à ce qu'elle prescrit : notre rapport au savoir (et notamment à la science) est loin d'être clarifié. Le signe le plus probant de cette actualité des questions nietzschéennes est que, pas plus que cette œuvre n'appartient aux nietzschéens, elle ne laisse aucun courant philosophique, aucune école indifférente.


La Revue Française de Généalogie N 229 - Avril/Mai 2017

.: La Revue Française de Généalogie N 229 - Avril/Mai 2017 :.

French | True PDF | 68 pages | 102 MB

Depuis 30 ans, La Revue française de Genealogie est l'outil de référence au service des chercheurs amateurs. Plein de conseils pratiques, elle accompagne ses lecteurs pour leur permettre de mener plus vite et plus loin leurs recherches généalogiques.

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